Polytechnicien, le Strasbourgeois Christian Albecker a changé de cap à 40 ans et quitté la banque pour diriger le Sonnenhof, spécialisé dans l’accueil des handicapés mentaux.

Publié le par octapeh

Dans son bureau sobre du Sonnenhof à Bischwiller, une ville dans la ville avec ses nombreux bâtiments dédiés aux handicapées mentaux, de l’enfant à la personne âgée, une Bible du XIX e siècle, sauvée des terribles bombardements de l’hiver 44-45, transmise par son prédécesseur, lorsque Christian Albecker prit son poste il y a quinze ans. « Je ne connaissais pas la fondation qui a été créée en 1865 par des pasteurs pour permettre à des enfants handicapés mentaux d’avoir accès à une vie normale et à la Bible. Et je ne connaissais rien au monde du handicap, confesse ce protestant engagé, qui a développé le Sonnenhof, en créant 280 places nouvelles et 300 emplois qui permettent d’accueillir 750 personnes sur 7 sites, à travers le Bas-Rhin. Tout en gardant à l’institution une dimension humaine.

Lui-même s’arrête spontanément pour saluer les résidents qu’il croise, les appelle souvent par leur prénom, s’enquiert auprès de l’un de son travail en atelier protégé, échange avec une monitrice sur l’évolution de jeunes autistes. La porte de son bureau reste ouverte. « Même si je ne suis pas le père tout puissant pour régler seul tous les problèmes, il est important pour moi d’écouter les résidents. Car ils me rappellent ma mission. Ils sont aussi source d’énergie lorsque je m’impatiente devant certaines lenteurs », lâche le directeur général de la fondation.

Car les autorisations administratives et les moyens pour concrétiser des projets pourtant indispensables au bien-être des personnes handicapées tardent à arriver, malgré les promesses des politiques. Alors cet homme urbain, mais déterminé, qui gère la fondation — avec son budget de 35 M€ — comme une entreprise, tout en se souvenant que « chaque vie est une lumière », fait inlassablement du lobbying…

Instituteur remarquable

Rien ne le destinait à exercer ces responsabilités, ni à quitter, à 40 ans, la banque où il aurait pu faire une jolie carrière. Rien ne l’avait prédestiné non plus à devenir polytechnicien. Il grandit à la Robertsau qui était alors un faubourg populaire de Strasbourg, où son père, maître-peintre, dirigeait l’entreprise familiale. Sa mère, en bonne luthérienne, l’emmène à l’« école du dimanche » avec sa sœur. Élève brillant, le jeune garçon est « poussé par un instituteur remarquable » qui l’incite à viser loin. Dès la 6 e, il entre au lycée Kléber où il obtient le bac scientifique avec mention très bien. Lorsqu’il est en « maths sup », le proviseur fait venir des « anciens qui ont réussi ». Un certain François Loos — qui fera son chemin en politique — se présente aux élèves en uniforme de l’X !

Dès cette époque, Christian s’investit dans les groupes de jeunes protestants. Le théologien Jean-François Collange qui a pris, à sa création, la présidence de l’Union des Églises protestantes d’Alsace-Lorraine, le remarque et tente de le convaincre : « On a plus besoin de théologiens que d’ingénieurs… » En vain. Lors de la préparation d’un camp de travail, i l rencontre Sylvie Grappe, passionnée par l’histoire de l’art, elle aussi impliquée dans le milieu protestant . Son frère est, depuis 2006, doyen de la faculté de théologie. Mais Christian et Sylvie ne se marieront que lorsque la jeune femme aura terminé ses études dentaires…

Admis à Polytechnique, Christian Albecker choisit à sa sortie l’École nationale du Génie rural et des Eaux et Forêts. Il démarre sa carrière au ministère des Finances, mais fait le choix de revenir en Alsace, en 1984, après la naissance des deux aînées, Marie-Fleur et Anne-Claire. Ariane, naîtra à Strasbourg. Trois filles brillantes, de 28, 26 et 22 ans, aux parcours différents, dont il est fier… Pendant six ans, il suit les dossiers de restructuration industrielle, d’emploi et de formation auprès du préfet de région. En 1990, il quitte la fonction publique pour entrer au Crédit agricole, comme ingénieur-conseil, dans une filiale de capital-risque. Il évoque son parcours avec humour, l’air de ne pas se prendre au sérieux.

Se poser des questions

Depuis l’X, Christian Albecker s’est toujours ménagé une vie en parallèle de son univers professionnel, entamant à Paris une maîtrise de théologie protestante qu’il terminera à Strasbourg. « Se poser des questions, c’est l’essence même du protestantisme », se justifie-t-il, en s’étonnant que d’aucuns prennent des responsabilités, même à un haut niveau, en « se contentant de notions qui remontent à leur catéchisme… »

Au tournant de la quarantaine, il s’interroge sur son avenir. Il est alors vice-président du directoire des Luthériens d’Alsace-Lorraine. Devant son président, Michel Hoeffel, qui l’avait fait venir, il parle de « changer de vie » et de « se réorienter vers les œuvres d’Église ». « Était-ce la crise de la quarantaine ? Avec mon expérience de la banque, j’étais certain de ne pas y faire carrière », analyse-t-il , non sans ironie. Il n’est plus question de carrière, mais d’engagement. Justement… Othon Prinz, qui a marqué le Sonnenhof de son empreinte, va prendre sa retraite.

L ’aventure, qui se traduit pour Christian Albecker par « un virage à 180°», démarre le 1 er octobre 1994. Il découvre un nouvel univers, avec des règles, à la fois différentes — « il n’est pas question de maximiser le profit », sourit-il — et semblables — « la confiance joue énormément ». Car il s’agit de « faire tourner les équipes » — 620 salariés — « financer les projets sans trop de déficits, mais aussi traiter les gens avec équité ». Sans oublier de s’adapter aux nouvelles directives, dans le respect de l’esprit des fondateurs.

Un travail qui fait sens

Pour remplir sa mission, qui ne l’empêche pas de présider, sur son temps libre, la Sémis, la Société évangélique de mission intérieure de Strasbourg, dédiée au social, ni d’exercer différentes responsabilités professionnelles, il sait pouvoir compter sur son épouse. Chirurgien dentiste, à temps partiel, à la fondation, Sylvie a aussi trouvé au Sonnenhof « un travail qui fait sens ». Ce qui n’empêche pas le couple de « décrocher le week-end » pour « s’offrir des respirations » : visites d’expositions dans le Rhin supérieur, découvertes de films, balades et, l’été, randonnées en haute montagne. Mais surtout, ils a iment à se retrouver en toutes saisons à Saulxures, dans leur maison qui est « leur jardin secret… »

Textes : Yolande Baldeweck

Publié dans Témoignages

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